Volontaires, stylées, compétentes (…) les qualificatifs ne manquent pas pour décrire nos danseuses nationales. Seul hic, leur nombre un peu trop dérisoire. Pour comprendre le fait, nous sommes allés les interroger.
Elles doivent être dix ou douze réparties entre les grandes villes du Royaume. Danseuses professionnelles pour la plus part, elles cumulent des années de pratique. Chorégraphies hyper physiques, concurrence rude, regards désapprobateurs, rien ne les a arrêtées. Mais en même temps personne n’est venu grossir leurs rangs depuis.
A qui ou quoi faut-il imputer la faiblesse de l’effectif féminin dans la communauté? « A la logistique déjà ! Là où je me trouve je n’ai pas vraiment d’endroits pour m’exercer et même si la question était résolue, je serais toujours dans l’obligation de me rendre à Rabat, Casablanca ou Meknès pour participer à des battles », originaire d’Agadir Manal Abdouny danse depuis maintenant 10 ans. Elle s’est accrochée contre vents et marées. «Celles qui ont commencé avec moi à Agadir ont presque toutes laissé tomber. Il n’y avait pas assez de championnats mis sur pied, leurs parents s’opposaient à la chose et ne les laissaient pas se déplacer, ce n’était pas encourageant. Me concernant j’ai dû apprendre seule, parce que je le voulais vraiment» ajoute la gadirienne aux multiples trophées.
Espace et mentalité
Face à une configuration plutôt compliquée sur certaines villes, les aspirantes B-girls finissent par renoncer à leurs rêves… Même son de cloche sur l’axe Rabat-Casablanca qui concentre l’essentiel des Breakdanseuses. Arrivée de France il y a 4 ans de cela, Stéphanie Dheilly a un beau parcours à son actif. L’une des premières choses qui l’a séduite dans le Breaking, c’est son côté intergénérationnel. A Toulouse où elle a fait ses marques, les adeptes se côtoyaient et s’exerçaient ensemble indépendamment de leurs âges ou de leurs milieux sociaux. Et les filles ? Notre question fuse, attendant une réponse. Etre une B-girl, c’est prendre son espace, s’imposer, braver un environnement compétitif et un peu –aussi- un modèle patriarcal. « Nous pratiquons une danse urbaine nourrie par la culture de la rue et par la culture populaire des années 70 à nos jours. Il y a une mise en avant de certains codes. Il s’agit avant tout de protéger son corps, son honneur et de s’affirmer. Il faut également être autonome et autodidacte. Des années auront été nécessaires pour que cette forme d’expression pratiquée par une femme soit appréciée du grand public, vu qu’elle ne renvoie ni à une esthétique ni à des attitudes attendues ».
Avec un petit rire, Stéphanie se souvient d’anciennes compétitions internationales auxquelles elle avait participé. Les passages des B-girls étaient généralement programmés durant les pauses et les caméramans venus filmer à l’occasion, préféraient se concentrer sur les performances des jeunes garçons. « Nous étions en début 2000, la différence de traitement frappait aux yeux quelques fois mais que voulez-vous ? Fort heureusement le mindset a changé. Aujourd’hui tout le monde peut trouver son style et sa place » admet-elle. Une bonne nouvelle, accueillie néanmoins avec circonspection par ces demoiselles tant l’idée est gravée dans les consciences. Est-ce bien convenable pour une jeune fille de danser face à un public masculin ? Dans quelle tenue ? Que penser d’une telle exposition ? Est-ce prudent ? Il faut voir dans la somme de ses interrogations les séquelles d’anciens préjugés et une forme de pression sociale. Pression à laquelle les femmes se retrouvent confrontées dès lors où elles choisissent de s’exprimer par leurs corps.
Des solutions concrètes
Casablancaise, Rim Bettach danse depuis 2014. Travaillant actuellement comme responsable d’exploitation, la working-girl est réaliste. Une B-girl au Maroc ne peut pas prétendre vivre de sa passion. «A une époque je m’entrainais 3 à 4 h par jour tous les jours, seule ou en groupe. J’ai dû me résoudre à chercher un emploi après mes études parce que je devais gagner ma vie. Le Breakdance à lui tout seul n’est pas lucratif et encore moins lorsque l’on est une fille. Votre condition physique doit être importante, vous devez y consacrer énormément de temps et à l’arrivée les débouchés sont restreints, forcément elles vont y réfléchir à deux fois…».
Malgré son constat, cette amoureuse des power moves refuse de jeter l’éponge. Son ambition? Voir le Breakdance féminin être pris plus au sérieux via des mesures significatives « Les B-girls ont besoin d’espace pour laisser parler leur art, de coachs à même de les orienter vers des styles adaptés. Nous voulons davantage de battles pour rester motivées et que les organisateurs d’évènements s’intéressent enfin à nous. Lorsque ce sera le cas, notre nombre grimpera en flèche». Prédit la danseuse professionnelle. Et elle n’a peut-être pas tort. La discrimination positive s’est souvent faite l’alliée de la parité. Au delà d’une question d’égalité (des chances), il faut y voir la reconnaissance et le soutien dont ces virtuoses ont besoin pour s’épanouir pleinement.
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